17 Juin LE BAL DES PHILOSOPHES – NIETZSCHE – « DIEU EST MORT ET C’EST NOUS QUI L’AVONS TUÉ »
SIX PENSEURS QUI ONT FAIT LE XXe SIÈCLE
Présenté par Martin LEGROS
Piano : Pierre-François BLANCHARD
Six lectures participatives de petits extraits décisifs des grands textes philosophiques du XXe siècle, de NIETZSCHE à SARTRE, accompagnés de musique improvisée. Pour se coltiner en direct et de manière vivante aux grands moments de la philosophie.
Après une courte introduction qui présente le philosophe et l’œuvre du jour, on lit ensemble, ligne à ligne, le texte en essayant d’en comprendre les articulations fondamentales mais aussi les questions qu’il soulève. Tout au long de la séance, Martin Legros incite le public à réagir au texte pour en interroger le sens.
Philosophe et journaliste, Martin Legros est rédacteur en chef de Philosophie magazine et de Philomag.com. Il est l’auteur de Pantopie (Le Pommier), entretiens avec Michel Serres et de Que faire ? Dialogue entre Alain Badiou et Marcel Gauchet (Philosophie magazine Editions), il dirige la collection 20 Penseurs (Philosophie magazine Editeur).
Friedrich Nietzsche : « Dieu est mort et c’est nous qui l’avons tué »
C’est une des formules les plus tonitruantes de Nietzsche, aussi surprenante et puissante que mal comprise. Car elle va bien plus loin que de constater que les dieux se sont éclipsés du monde pour se réfugier dans le for intérieur de chacun ou dans les croyances partagées par une pluralité de cultes et d’Eglises soumises au principe de laicité et de tolérance. Elle avance un scandale logique – comment Dieu, s’il a existé, pourrait-il mourir sans être privé de ce qui le définissait ? Une mise en cause : les hommes, dans une forme de paricide métaphysique, seraient responsables de ce crime. Mais surtout comment nous hausser à la hauteur de cet acte et vivre à l’âge du nihilisme ?
Extrait : Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, trad. Pierre Klossowski, éd. Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Folio Gallimard, § 125, pp. 149-150.
« L’insensé. — N’avez-vous pas entendu parler de cet homme insensé, qui ayant allumé une lanterne en plein midi, courait sur la place du marché et criait sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » — Et comme là- bas se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une grande hilarité. L’a-t-on perdu ? dit l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L’insensé se précipita s au milieu d’eux et les perça de ses regards. « Où est Dieu ? cria-t-il, je vais vous le dire ! Nous l’avons tué — vous et moi ! Nous tous sommes ses meurtriers ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier ? Qu’avons-nous fait, à désenchaîner cette terre de son soleil ? Vers où roule-t-elle à présent ? Vers quoi nous porte son mouvement ? Loin de tous les soleils ? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue ? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin ? N’entendons-nous nen encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine ? — les dieux aussi se putréfient ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux — qui essuiera ce sang de nos mains ? Quelle eau pourra jamais nous purifier ? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cette action n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître dignes de cette action ? Il n’y eut jamais d’action plus grande — et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais l’histoire jusqu’alors ! »