Le Bal Blomet est une scène parisienne multiculturelle située près de Montparnasse dans le 15e arrondissement. Il propose des concerts de jazz et de musique classique, des spectacles musicaux et des événements culturels.
Un temps menacée de disparition, cette adresse mythique depuis 1924 – le Bal Blomet est le plus ancien club de jazz d’Europe en activité – a rouvert en 2017 sous son nom d’origine après une réhabilitation audacieuse et respectueuse de son histoire. Son cadre chaleureux, fusion du Montparnasse des années folles et des speakeasies new-yorkais, entraîne le public et les artistes sur les pas des grandes figures qui l’ont fréquenté et recrée un lieu magique de partage, d’émotions et de fête.
Le nouveau Bal Blomet peut accueillir jusqu’à 250 spectateurs en places assises.
Les 25e Trophées de la Nuit (2019) ont décerné au Bal Blomet le Trophée du Café Concert.
L’aventure du Bal Blomet commence en 1924. Jean Rézard de Wouves, candidat antillais à la députation, installe son QG de campagne au 33, rue Blomet, dans une maison du XVIIIe reconvertie en commerce de vins puis en cabaret sous le nom de « Bal Blomet ». Pour attirer et retenir le maigre auditoire à ses meetings politiques, Jean Rézard, meilleur musicien qu’orateur, se met au piano et joue avec grand succès la musique de ses origines antillaises.
La génération des Années folles est alors avide de distractions sur fond de musique et rêve d’un monde nouveau en réaction aux souffrances de la Grande Guerre. On se passionne frénétiquement pour les cultures inédites et les nouvelles esthétiques comme le Surréalisme, le Dadaïsme, le Jazz, l’Art Déco…
Les réunions électorales du Bal Blomet se transforment spontanément en soirées musicales et dansantes et deviennent permanentes. Plus doué pour le spectacle, Jean Rézard renonce à la politique et institue un bal régulier avec la bénédiction du propriétaire M. Jouve.
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Robert Desnos, qui habite quelques mètres plus loin dans les ateliers d’artistes du 45, rue Blomet le renomme ‘Bal Nègre’ et en assure la promotion dans un article publié dans le quotidien Comoedia :
« Dans l’un des plus romantiques quartiers de Paris, où chaque porte cochère dissimule un jardin et des tonnelles, un bal oriental s’est installé. Un véritable bal nègre (…) où l’on peut passer, le samedi et le dimanche une soirée très loin de l’atmosphère parisienne. C’est au 33 de la rue Blomet, dans une grande salle attenante au bureau de tabac Jouve, salle où, depuis bientôt un demi-siècle, les noces succèdent aux réunions électorales. »
« Cette période, raconte le violoniste-clarinettiste martiniquais Ernest Léardée (1896-1988), futur roi de la Biguine qui succède à Jean Rézard, est probablement la plus folle que j’ai vécue. Ce bal était le point d’attraction de la capitale… et pas un étranger ne quittait Paris sans être venu passer au moins une soirée dans ce lieu inhabituel ». C’est en effet par autocars entiers que les touristes affluent, obligeant Léardée et Jouve à instituer un véritable et incessant roulement entre les groupes de touristes et les attractions. L’adresse était devenue si célèbre à Paris qu’il suffisait de dire « 33 … » au chauffeur de taxi pour qu’il ajoute « … rue Blomet ».
Les artistes des années folles fréquentent assidument le Bal Blomet pour jouir de l’ambiance exotique : on y croise Joséphine Baker, Foujita, Calder, Maurice Chevalier, Mistinguett et l’égérie Kiki de Montparnasse accompagnée de Man Ray. Les écrivains américains Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald, Henry Miller, s’y retrouvent, de même que Jean Cocteau ou Raymond Queneau.
Les artistes du 45 rue Blomet Joan Miro, André Masson, Francis Picabia, Robert Desnos et ses amis surréalistes y croisent Mondrian, excellent danseur, ou Kees van Dongen. Le Prince de Galles s’échappe d’une cérémonie officielle pour s’y encanailler et offre de généreux pourboires aux musiciens.
La clarinette et le saxophone de Sidney Bechet retentissent dans la salle de bal qui accueille les personnalités qui feront plus tard la légende des cafés et des caves de Saint-Germain-des-Prés : Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Boris Vian, Albert Camus … Maurice Merleau-Ponty y courtise Juliette Greco.
Dans son autobiographie La Force de l’âge (1960), Simone de Beauvoir décrit ainsi les soirées du Bal de la rue Blomet: « Le dimanche soir, on délaissait les amères élégances du scepticisme. […]. J’aimais regarder les danseurs; je buvais du punch ; le bruit, la fumée, les vapeurs de l’alcool, les rythmes violents de l’orchestre m’engourdissaient ; à travers cette brume je voyais passer de beaux visages heureux. Mon coeur battait un peu plus vite quand explosait le quadrille final : dans le déchaînement des corps en fête, il me semblait toucher ma propre ardeur de vivre. »
En 1928, un célèbre fait divers défraie la chronique. Jane Weiler, fille d’un riche industriel, tue son mari au retour d’une nuit qu’ils avaient passée à ce bal. La presse ne manque pas de s’emparer de cette affaire pour stigmatiser la vie de plaisir facile menée par les mondains et la haute société bourgeoise. Lors du procès de Mme Weiler, le journal Détective imprime la manchette suivante : « Du Bal Nègre aux assises ».
Lieu de fête sans fin, c’est au Bal de la rue Blomet qu’en 1929, Mado Anspach organise la soirée mémorable du « Bal Ubu », dernière grande fête de Montparnasse:
« Là [au Bal Blomet], Montparnasse s’initiait à la biguine. Robert Desnos habitait la maison voisine. Un article dans Comoedia avait lancé cet établissement. Youki parut au Bal Ubu déguisée en reine, avec une robe à traîne et de longues nattes blondes. Kiki menait la danse, infatigable et débraillée. Le peintre Foujita était déguisé en fille publique. Un tonneau avait été mis en perce et le champagne se distribuait par bouteilles ; c’était au printemps 1929. »
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’occupant interdit les activités du Bal Blomet, qui reprennent entre 1945 et 1962 avec d’autres orchestres, mais sans retrouver ni l’aura, ni le succès d’antan.
Le Bal Blomet a inspiré de nombreux artistes, les peintres Kees Van Dongen (Joséphine Baker au Bal Nègre, 1925) et Francis Picabia (Bal Nègre, 1947), le dessinateur Paul Colin ou les photographes Brassaï (1930) et Elliott Erwitt (1952). Le cinéaste Jean Grémillon, dans son film La Petite Lise (1930), met en scène le Bal Blomet avec ses musiciens et ses danseurs dans leur propre rôle. En 1954, Jacques Becker y filme Jean Gabin et Jeanne Moreau dans Touchez pas au grisbi. Les écrivains l’utilisent comme décor, parmi lesquels Léo Malet (Les eaux troubles de Javel, 1957), San-Antonio (1957, Des gueules d’enterrement, où l’on apprend que les Bérurier habitent rue Blomet, au-dessus du Bal Blomet) ou Gilles Schlesser (Rose de Paris, 2014).
En 2011, Guillaume Cornut entreprend avec l’architecte Samuel Zagury une réhabilitation respectueuse de l’histoire du Bal Blomet, alors menacé de disparition. Leur objectif est de recréer un lieu magique de partage, d’émotions et de fête dans l’esprit de sa grande époque. Six années de préparation et de travaux sont nécessaires pour réinventer l’espace, excaver, transférer en sous-sol et recréer une nouvelle salle de spectacle.
Le nouveau Bal Blomet est inauguré le 21 mars 2017. Sa programmation multiculturelle et son cadre offrent au public et aux artistes un voyage à travers les époques, entre le speakeasy new-yorkais et le Montparnasse des années 20.